La justice française enquête sur d'éventuels pots-de-vin versés en marge de la vente de trois sous-marins à la Malaisie en 2002.
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Un document découvert par les enquêteurs explique comment contourner la législation qui interdit depuis 2000 la corruption de fonctionnaires étrangers.
Des pots-de-vin ont-ils été versés en marge de la vente à la Malaisie de trois sous-marins par l'ex-Direction des constructions navales, associée à la société d'armement Thalès, en 2002? C'est la question à laquelle vont s'efforcer de répondre les juges d'instruction Roger Le Loire et Serge Tournaire auxquels le parquet de Paris a confié, en mars dernier, une information judiciaire pour des faits de corruption active et passive et d'abus de biens sociaux.
Dans le collimateur des magistrats: les sociétés malaisiennes Perimekar et Terasasi, liées toutes les deux à Abdul Razak Baginda, alors très proche de Najib Razak, ancien ministre de la Défense de Malaisie et actuel Premier ministre. Perimekar a touché 115 millions d'euros pour la "fourniture de prestations associées de soutien logistique". Quant à Terasasi, elle a été mandatée par Thalès pour jouer les intermédiaires avec le gouvernement de Kuala Lumpur. Prix de ses bons et loyaux services: 36 millions d'euros.
Les contrats de défense majeurs requièrent des transferts de monnaie substantiels vers des individus et/ou des organisations politiques
Les procès verbaux de l'enquête préliminaire, dont L'Express a eu connaissance, révèlent quelques éléments intéressants. A commencer par un rapport confidentiel "non daté et non signé", réalisé par le cabinet anglais Anderson Mayhill Ltd pour la DCNI, le bras de la Direction des constructions navales à l'étranger. Son auteur anonyme a - involontairement - rendu un immense service aux policiers et aux juges en décryptant l'historique du contrat malais, le montage administratif auquel il a donné lieu et son financement. Sans oublier l'arrière-plan des négociations: "Les contrats de défense majeurs en Malaisie comme dans d'autres pays, écrit-il, requièrent des transferts de monnaie substantiels vers des individus et/ou des organisations politiques. (...) Les consultants (agents ou sociétés) sont souvent utilisés comme un réseau politique pour faciliter ces transferts et recevoir des commissions de leur mandant."
"Graves suspicions de corruption"
Mais voilà: les dessous-de-table destinés aux agents publics étrangers sont interdits en France depuis que Paris a adopté, en 2000, la convention de lutte contre la corruption de l'Organisation de coopération et de développement économiques. Qu'à cela ne tienne. L'auteur du rapport fournit la solution: "Une alternative est la création de fournisseurs de services. Les sociétés qui rendent des services à leur mandant peuvent facturer une contrepartie (...) Les majorations de ces factures remplacent efficacement les habituelles importantes commissions. Ces fournisseurs de services peuvent être des entreprises locales existantes ou des 'sociétés taxis'." Et d'expliquer, quelques pages plus loin, que les dirigeants de Thalès ont choisi Abdul Razak Baginda comme "référent pour le réseau politique (...) Deux sociétés sont au coeur de ce réseau: Perimekar et Terasasi."
Interrogé par les policiers, dans le cadre de l'enquête préliminaire, sur ce document, Gérard-Philippe Menayas, ancien directeur administratif et financier de DCNI, a reconnu que "ce rapport mettait en exergue de graves suspicions de corruption." Sur les prestations de Perimekar, il se montre lapidaire: "Rien ne justifie une telle rémunération (NDLR: 115 millions d'euros). Il ne s'agissait finalement que d'une "agence de voyages" (...) Cette société servait à créer un enrichissement sans cause pour ses actionnaires." Thalès, par la voix de son avocat Me Olivier Metzner, a toujours réfuté les allégations de corruption.