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L’intervention humanitaire, stade suprême du capitalisme

Les « Amis de la Syrie » se partagent l’économie syrienne avant de l’avoir conquise

APT-Beyrouth

21 Jun 2012 - 13:54

Preuve que la préoccupation occidentale pour la Syrie n’a rien à voir avec les nobles motifs affichés, de démocratie et de protection des civils, la Conférence des amis (sic) du peuple syrien prépare un plan de pillage économique applicable dès que le pays sera occupé. Dans la grande tradition coloniale, un Groupe de travail, sous co-présidence allemande et émiratie, étudie la manière de se partager les dépouilles de la Syrie lorsqu’elle sera vaincue. L’OTAN et le CCG ont « vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué ».


Un groupe autoproclamé 

La semaine dernière, un « Groupe de travail » international s’est réuni pour la première fois sous la coprésidence allemande à Abu Dhabi. Il doit mettre en route des mesures économiques urgentes après la chute du régime al-Assad. Ce « Groupe de travail » (« Working Group on Economic Recovery and Development of the Friends of the Syrian People ») a été institué le ١er avril à Istanbul par le « Groupe des amis du peuple syrien ». Il s’agit là d’une alliance d’États occidentaux et pro-occidentaux qui se sont battus dans la guerre civile syrienne aux côtés de l’opposition et coopèrent essentiellement avec le Conseil national syrien (CNS), une organisation en exil. Ce « Groupe des amis du peuple syrien » n’a absolument pas été légitimé par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il en va de même de son « Groupe de travail »qui s’est autoproclamé « Forum central » pour les mesures économiques nécessaires. 

L’Allemagne est le principale responsable 

Comme l’explique le diplomate allemand Clemens von Goetze, qui a dirigé la réunion à la fin de la semaine dernière avec son homologue des Émirats arabes unis, le « Groupe de travail »n’a pas été créé uniquement pour apporter une aide urgente après la chute du régime : « Le moment est favorable pour ouvrir au pays des perspectives à long terme ». Le modèle est pour lui le Plan Marshall grâce auquel les États-Unis ont, après la Seconde Guerre mondiale, apporté aux Alliés occidentaux une aide matérielle destinée à la reconstruction. Le « Groupe de travail » a créé plusieurs sous-groupes qui doivent se consacrer à des sujets particuliers. Dans la répartition internationale du travail sur laquelle les États membres sont tombés officiellement d’accord, l’Allemagne est responsable du volet « Politique économique et réforme ». Il s’agit là explicitement de « stratégies à long terme » qui devraient favoriser le passage « d’une économie centraliste à une économie de marché », lit-on dans les rapports. 

Le « Groupe de travail » institue à cet effet un « Secrétariat » à la disposition duquel l’Allemagne et les Émirats arabes unis ont l’intention de mettre chacun 600 000 euros. Son directeur pressenti est l’Allemand Gunnar Wälzholz. C’est lui qui a dirigé en dernier la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) en Afghanistan . 

La carotte et le bâton 

Comme l’a confirmé un participant à la réunion de la semaine dernière, les mesures qui doivent être mises en route sous la responsabilité allemande répondent à des objectifs à court terme. Ainsi les programmes économiques doivent attirer les forces qui, en Syrie, « ne participent pas encore totalement à l’insurrection et hésitent encore à la soutenir ». Ils représentent un antidote aux sanctions qui —non pas par des stimulants, mais des pressions—visent à inciter également des entrepreneurs loyalistes à passer dans l’autre camp. À ce sujet le « Groupe de travail » a déclaré que les sanctions pourraient être levées « dès que ses objectifs seraient atteints, c’est-à-dire après la chute d’el-Assad qu’un changement de camp des milieux économiques intéressés favoriserait ». 

Conséquences de la libéralisation
 

La privatisation de l’économie syrienne qui incombe au « Groupe de travail » est encouragée depuis des années par Berlin qui a longtemps collaboré avec le régime el-Assad. En 2006, l’organisation de coopération allemande GTZ (aujourd’hui GIZ) a mis en route, spécialement à cet effet, un programme intitulé « Soutien à la réforme économique syrienne ». Il a été expliqué que « le gouvernement syrien avait décidé en 2000 de passer à l’économie sociale de marché » mais que « les institutions concernées manquaient de connaissances ». C’est pourquoi la GTZ la soutenait. On prétendait que « grâce aux effets attendus sur les revenus et l’emploi », […] la réforme « améliorerait les conditions de vie de la population syrienne ». 

Mais cette annonce n’a pas été suivie d’effet. Au contraire, l’International Crisis Group a confirmé l’année dernière que l’ouverture du marché syrien a eu des effets « extrêmement négatifs » sur l’artisanat local. Cela vaut notamment pour Duma, près de Damas, où vivaient de nombreux artisans. La libéralisation les a menés au bord de la ruine si bien qu’ils ont rompu avec le régime. Aujourd’hui, Duma passe pour être un bastion de la contestation et a même été momentanément, en janvier dernier, totalement contrôlé par les insurgés. 

Projets 

Aussi peut-on lire, dans la « National Economic Vision » que le chef du Bureau économique du CNS, Usama al Qadi, a présentée la semaine dernière à Abu Dhabi au « Groupe de travail »sous direction allemande, que la libéralisation n’améliorera le niveau de vie qu’« à longue échéance ». Il faut tout d’abord créer des conditions fiables pour les investissements étrangers, augmenter la « productivité » des travailleurs syriens, accélérer l’établissement d’entreprises industrielles, réformer le secteur bancaire et chercher des débouchés, en particulier à l’étranger. Le « Marshall Syrian Recovery Plan », qui devrait démarrer le plus vite possible, pourra attirer des investissements directs occidentaux en assez grand nombre. À l’avenir, le« Secrétariat » du « Groupe de travail » dirigé par l’Allemagne aidera à appliquer ce plan dès qu’el-Assad aura été renversé et que Damas aura un nouveau régime. 

Comme au Kosovo il y a quelques années 

Le CNS, qui collabore étroitement avec l’Occident dans le cadre du « Groupe de travail » et dont le personnel se propose pour assumer plus tard des fonctions de direction, est sérieusement contesté par les opposants syriens. Il est dominé par des membres des Frères musulmans dont la position au sein du CNS suscite la forte hostilité de nombreux opposants de tendance laïque. D’autre part, le fait que des leaders du CNS misent publiquement sur une intervention militaire occidentale suscite le mécontentement de parties importantes de l’opposition syrienne. En revanche, le National Coordination Committee (NCC), un groupement d’organisations d’opposition à l’intérieur de la Syrie que l’Occident ne prend guère en considération, s’est notamment prononcé résolument contre des opérations militaires occidentales. Radwan Ziadeh, « directeur des relations étrangères » du CNS qui, de même que l’économiste du CNS Usama al-Qadi, travaille pour le Syrian Center for Political and Strategic Studies, s’est déjà prononcé à plusieurs reprises en faveur d’opérations semblables à celles du Kosovo. « Le Kosovo montre comment l’Occident peut intervenir en Syrie », a déclaré Ziadeh. En juillet 2011 déjà, il était l’hôte du ministère allemand des Affaires étrangères et en février dernier celui du Financial Times. Peu après, il a affirmé que les milices de l’Armée syrienne libre devaient jouer le même rôle que l’UÇK au Kosovo. Selon german-foreign-policy.com, des opposants syriens se sont rendus récemment au Kosovo pour s’informer sur l’action de l’UÇK en 1999. Le « massacre de Houla »pourrait avoir la même signification que le « massacre de Račak » au début de 1999. 

Cependant, en ce qui concerne ce dernier, on se doutait déjà, à l’époque, qu’il s’agissait d’une manipulation destinée à justifier la guerre. Cela n’a jamais été sérieusement réfuté. En tout cas, plus rien ne s’opposait à une intervention de l’OTAN.

Reseau voltaire


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