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Shadi Hamid*

Egypte: Vers une victoire des Frères musulmans

Agence de presse TAGHRIB (APT)

SlateAfrique , 8 Nov 2011 - 12:03

Le score élevé du parti islamiste Ennahda lors du scrutin du 23 octobre en Tunisie, où il a remporté 41,5 % des sièges, a de nouveau braqué les projecteurs sur les élections en Egypte qui débuteront le 28 novembre. Certains analystes ont minimisé les chances de succès des Frères musulmans en se basant sur des sondages qui laissent penser que ce mouvement – le plus grand et le mieux organisé en Egypte – n’obtiendrait que de 15 à 30 % des sièges.


Il est vrai que les Frères musulmans ne sont peut être pas aussi populaires qu’on pourrait le penser. Mais les élections ne sont pas des concours de popularité. En fait, alors que la campagne suit son cours, il apparaît que les islamistes en Egypte feront encore mieux que prévu, tout comme leurs homologues tunisiens.

Avant les élections tunisiennes, Ennahda obtenait environ vingt pour cent des intentions de vote. Il en a pourtant recueilli près du double. Lors des élections, l’organisation et la stratégie sont plus importantes que des taux élevés d’opinions favorables, particulièrement durant des élections où les nouveaux partis doivent se faire connaître auprès des électeurs. Et en Egypte, les Frères musulmans sont excellents en organisation et en stratégie. Alors que la plupart des partis libéraux et de gauche démarrent effectivement de zéro, les Frères musulmans s’appuient sur un véritable travail de terrain, peaufiné par trois décennies de participation aux élections syndicales et nationales.

L'organisation, une des clés de la victoire des Frères musulmans
Durant les dernières élections législatives de novembre – sans doute les plus frauduleuses qui se soient jamais déroulées en Egypte – j’ai eu la chance de pouvoir observer de près l’opération «Allez voter» des Frères musulmans. Un membre de la campagne électorale des Frères musulmans, ignorant sans doute que cela avait l’air quelque peu invraisemblable, m’a dit que le mouvement avait un taux interne de participation électorale de quasiment ۱۰۰%. En d’autres mots, tout membre actif des Frères musulmans est censé voter, et il le fait. Même si c’est un peu exagéré, il est vrai que la confrérie, en partie parce que c’est un mouvement religieux plutôt qu’un parti politique, possède le type de discipline organisationnelle dont les partis rivaux ne peuvent que rêver.

Cette discipline est profondément ancrée dans la culture de l’organisation. Chaque membre des Frères musulmans s’engage dans un programme éducatif rigoureux et il intègre un groupe appelé un usra (une famille), qui se réunit chaque semaine. Si un Frère choisit de rester chez lui un jour d’élection, les autres Frères le sauront. Mais il ne s’agit pas seulement de se conformer aux attentes de ses pairs. A chaque bureau de vote se trouve un coordinateur des Frères musulmans qui effectue un comptage. Cette démarche est possible et réalisable dans de nombreux quartiers, car le nombre d’électeurs par bureau de vote peut être assez faible – alors que le nombre de Frères musulmans peut atteindre plusieurs centaines. Le «whip» (le fouet, une personne qui assure la discipline du parti) reste là durant toute la journée, regardant qui entre et qui sort, et effectue un pointage. Si vous étiez supposé venir, et que vous ne le faites pas, le «whip» le saura. Un de ces «whip», voyant mon scepticisme, m’a déclaré: «vous devez comprendre, je connais tous les Frères qui vivent dans le quartier ».

En Tunisie, l'échec des partis anti-Ennahda
Avec un système électoral qui est, selon les termes d’un activiste, «algorithmiquement compliqué», connaître sa circonscription prend encore plus d’importance. Comme l’a souligné Daphné McCurdy dans un récent rapport du POMED (Projet sur la démocratie au Moyen-Orient) sur la Tunisie,

«la plupart des sondages en Tunisie se sont focalisés sur des intentions de vote au niveau national, négligeant totalement les variations à l’intérieur de circonscriptions électorales particulières ».

Ennahda était le seul parti qui couvrait la totalité du pays, avec des stratégies taillées sur mesure pour chaque circonscription, y compris les zones rurales. En Egypte, les Frères musulmans possèdent encore un autre avantage, qui s’est construit sur le terrain. Avec ۸۸ députés dans le précédent parlement (۲۰۰۵-۲۰۱۰), le groupe a pu fournir un plus large éventail de services au niveau local et construire des relations plus fortes avec les électeurs.

Qui, exactement, est en compétition? La branche politique de la confrérie, le parti Justice et Liberté, est rejoint par le parti Al-Ghad de Ayman Nour, le parti Karama, et une poignée de petits partis, pour former la liste «Alliance démocratique». Il y a quatre autres listes principales, dont trois sont de gauche ou libérales (le Bloc égyptien, la Révolution continue, le parti Wafd). Avec leur financement considérable et leur réseau de patronage, le parti Wafd de centre-droit, dirigé par le multi-millionnaire Al-Sayyid Badawy, et ce qui reste de l’ancien parti au pouvoir le Parti national démocratique, sont aussi bien placés pour remporter une part significative du vote.

S'allier aux islamistes: une nécessité pour les partis libéraux
Pour leur part, les nouveaux partis libéraux souffrent d’une incapacité à avoir une idéologie ou un agenda clair, un défaut majeur dans un pays où le «libéralisme» continue à avoir une connotation négative. De nombreux partis libéraux semblent parfois n’exister que par le simple fait de ne pas être un mouvement islamiste, faisant le choix de jouer sur les craintes des gens face à une théocratie imminente. Mais une telle stratégie pourrait produire l’effet inverse, dans un pays où ۶۷ % des Egyptiens disent que les lois devraient suivre strictement les enseignements du Coran, et où ۲۷ % des Egyptiens disent qu’ils devraient suivre, d’une façon ou d’une autre, les valeurs et les principes de l’Islam, selon un sondage de l’institut Pew en avril.

En Tunisie, le Parti démocrate progressiste, qui se positionne comme un choix anti-islamiste, a été balayé lors des élections, alors que les deux partis libéraux qui maintenaient de bonnes relations avec Ennahda - le Congrès pour la République et Ettakatol – s’en sont bien tirés, finissant respectivement en seconde et troisième place.

La voix des pauvres et du libéralisme économique
Le chemin semble tout tracé pour les partis libéraux et les partis de gauche, et il semble bien prometteur: il faut mettre en évidence les difficultés économiques grandissantes de l’Egypte. Mais cela aussi peut se révéler un défi, car la plupart des partis – de gauche ou non – utilise la même rhétorique sur l’économie: la pauvreté c’est mal, les emplois c’est bien, la justice sociale c’est mieux, et ainsi de suite. Comme l’a souligné Ayesha Sabayala de l’Economist Intelligence Unit au sujet de la Tunisie, «si vous regardez les manifestes des partis, à l’exception des partis d’extrême gauche, la plupart ont les mêmes objectifs économiques: réduire le chômage et augmenter les infrastructures à l’intérieur». Les Frères musulmans se sont intelligemment positionnés comme étant la voix des pauvres, même si sa plate-forme économique (qui a été davantage créé pour les investisseurs étrangers et la communauté internationale) est étonnement libérale.

Par exemple, le groupe a lancé récemment «Millioniyyat al-Khayr» (l’acte de bonne volonté d’un million d’hommes), une initiative visant à fournir ۱,۵ million de kilos de viande à cinq millions d’Egyptiens pour les fêtes de l’Aïd.

Mieux vaut les Frères musulmans que les Salafistes
Il est toujours possible que la confrérie réalise une contre-performance – comme lors des récentes élections du syndicat professionnel des médecins. Mais faites attention à ce que vous espérez. L’alternative aux islamistes modérés pourrait se révéler être...Des islamistes moins modérés. Bien avant le printemps arabe, les dirigeants des Frères musulmans m’ont dit que leurs jeunes étaient de plus en plus influencés par les idées salafistes. Un responsable de la confrérie m’a dit, officiellement, que les Salafistes étaient cinq fois plus nombreux qu’eux.

Les groupes salafistes sont de plus en plus ambitieux, et un de leurs dirigeants a affirmé qu’ils remporteraient ۳۰ % des sièges. Ambitieux, les salafistes sont toutefois des novices en politique, avec quasiment aucune expérience de campagne législative. Mais ils ont montré qu’ils apprenaient vite, ils ont réussi à s’unifier, rassemblant quatre partis salafistes sous la bannière de «l’Alliance islamique».

D’ailleurs, les déclarations ou souhaits des libéraux disant que les salafistes évoluent hors du principal courant de pensée du pays pourraient n’être que des illusions. Dans un sondage de décembre ۲۰۱۰, ۸۲ % des Egyptiens ont déclaré être favorables à la lapidation en cas d’adultère, et ۶۷ % soutenaient l’amputation des mains des voleurs. Seul mouvement avec les Frères musulmans à posséder une base populaire, les salafistes ont décidé d’organiser la circulation dans les endroits embouteillés d’Alexandrie, ils se sont engagés dans des campagnes d’éducation en faisant du porte-à-porte, et ils ont fourni des services de santé aux pauvres.

Ce ne sont pas nécessairement les idées qui sont au cœur de ces élections. Ce sont les électeurs. Et de ce point de vue, les élections en Egypte ressemblent beaucoup à celles des Etats-Unis. Les «gentils», quel qu’ils soient, ne sont pas toujours les vainqueurs. Si les partis islamistes font aussi bien que cela leur est possible – remportant plus de ۵۰ % des votes – les réactions alarmistes venant des pays occidentaux seront considérables. Pourtant, l’indicateur important pour cette période troublée de transition en Egypte n’est pas «qui va gagner» mais plutôt si les Egyptiens ont l’opportunité de choisir leur propres représentants, sans intimidation ni interférence. La démocratie, comme le savent depuis longtemps les démocraties occidentales, signifie le droit de faire le mauvais choix.

* Les opinions exprimées n'engagent que l'auteur


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