La destruction d’un chasseur turc Phantom F-4 par la DCA syrienne, vendredi 22 juin, constitue un développement qualitatif qui montre que la crise syrienne prend de plus en plus une dimension régionale qui risque d’avoir des répercussions incalculables dans tout le Moyen-Orient.
Partagez le :
« Tendances de l’Orient » La Turquie joue un rôle de premier plan dans l’entrainement, le financement et le recrutement des insurgés qui se livrent à une véritable guerre contre la Syrie. Des camps d’entrainement sont supervisés par des instructeurs militaires turcs et les services de renseignements d’Ankara fournissent un soutien inestimable aux rebelles qui exécutent des ordres directement émis par les autorités turques, comme l’enlèvement des onze pèlerins libanais dans la région d’Alep, il y a un mois.
Le quotidien américain New York Times a par ailleurs indiqué, jeudi 21 juin, que des responsables de la CIA travaillent secrètement dans le sud de la Turquie pour aider les alliés de Washington à déterminer quels combattants de l’opposition syrienne recevront des armes pour combattre le régime du président Bachar al-Assad. Citant les responsables américains et des agents de services de renseignements arabes, le quotidien rapporte que les armes comportent des fusils automatiques, des lance-roquettes, des munitions, des armes antichars, introduites en majorité via la frontière turque, avec l’aide d’un réseau d’intermédiaires, dont des militants des Frères musulmans. Cet armement est financé par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar, poursuit le quotidien.
Dans le cadre du soutien apporté aux insurgés syriens et aux « afghans arabes » (faut-il les appeler mercenaires ?), la collecte d’informations tient une place de première importance. Selon des sources bien informées, l’aviation turque et les satellites de l’Otan sont impliqués depuis des mois à une intense activité pour transmettre des informations aux rebelles sur les mouvements de l’armée syrienne, ses effectifs engagés sur le champ de bataille et ses points de ralliement et de déploiement. C’est ce qui a permis, par exemple, aux insurgés, d’occuper par surprise la ville de Hiffé, et d’autre localités, sans grandes difficultés, car ils savaient à l’avance la taille et la force de l’adversaire qu’ils ont en face d’eux. Lorsque les renforts arrivent, ils sont très vite délogés, essuyant de lourdes pertes. Entre-temps, la machine médiatique occidentale, qui tourne à plein régime, aura fait tout le tapage possible et imaginable autour des « localités martyrs », dans l’espoir d’exercer des pressions assez fortes pour marquer des points au Conseil de sécurité. Mais jusqu’à présent, la Russie, la Chine et leurs alliés ne se sont pas laissés déstabiliser par ces stratagèmes politico-médiatiques qu’ils ont déjà expérimentés en ex-Yougoslavie, en Irak, et, plus récemment, en Libye.
En abattant l’appareil turc, la Syrie a voulu transmettre des messages dans plusieurs directions : d’abord, qu’elle est au courant du rôle joué par la Turquie ; qu’elle n’hésitera pas à défendre sa souveraineté quels qu’en soient le prix et les conséquences ; et qu’elle dispose des armes, du savoir-faire et de la volonté nécessaires pour cela.
Selon des informations sûres, le F4 a été abattu quelques secondes seulement après avoir pénétré dans l’espace aérien syrien. Il a été touché non pas par un missile mais par des tirs d’une batterie de DCA, reliée à un dispositif de radar. Cela montre l’efficacité et la performance de la défense anti-aérienne syrienne. Cela devrait faire réfléchir tous les va-t-en-guerre qui appellent à une intervention militaire en Syrie en pensant qu’il s’agirait d’une promenade, comme en Libye.
Un porte-parole militaire syrien avait déclaré que la DCA syrienne avaient tiré sur un objectif aérien « non identifié » survolant à basse altitude et à grande vitesse les eaux territoriales syriennes, à environ 1 Km de la terre ferme, à partir des côtes, le touchant de plein fouet. « L’objet en question s’est avéré être un avion militaire turc », a indiqué le porte-parole, précisant que, touché, l’appareil a pris feu et s’est abîmé en mer. « L’appareil en question est tombé dans les eaux territoriales syriennes à 10 kilomètres du littoral syrien à l’ouest du village d’Oum Touyour, dans la province de Lattaquié », a précisé le porte-parole, indiquant que les autorités ont agit suivant les lois internationales en vigueur.
Après avoir laissé entendre, par la bouche du président Abdallah Gul, que le F٤ avait peut-être violé l’espace aérien syrien, la Turquie a fait marche arrière dimanche soir. « D’après nos conclusions, notre avion a été abattu dans l’espace aérien international, à 13 milles nautiques de la Syrie », a dit Ahmet Davutoglu. Le belliqueux ministre des Affaires étrangères, jadis auteur de la théorie du « zéro problème avec les voisins », avant de procéder à un virage de 180 degrés, a insisté sur le fait que le F-٤ Phantom volait seul et n’avait « aucune mission, y compris de collecte d’informations, au dessus de la Syrie ». Ces deux sons de cloche montrent l’existence de divergences au sein du haut commandement turc, entre ceux qui veulent éviter l’escalade qui risque de provoquer un conflit armé régional, et ceux qui n’hésitent pas à jouer avec le feu, quelles qu’en soient les conséquences.
La Turquie a donc réclamé dimanche une réunion urgente de l’Otan, invoquant l’article ٤ du traité fondateur de l’Alliance atlantique, qui prévoit que les pays membres puissent porter une question à l’attention du Conseil de l’Alliance et en débattre avec les alliés, a souligné une source diplomatique turque sous couvert d’anonymat. La réunion est prévue pour mardi. Cet article stipule que « les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée ».
Haussant le ton, Ankara a prévenu Damas de ne pas défier militairement la Turquie. « Personne ne peut se permettre de mettre à l’épreuve les capacités militaires de la Turquie », a affirmé Ahmet Davutoglu, qui semble avoir troqué son costume-cravate contre un treillis militaire. « Personne ne peut menacer la sécurité de la Turquie », a-t-il ajouté, ignorant le fait que c’est la Turquie qui menace la Syrie en violant sa souveraineté et en armant les insurgés qui sont installé dans des camps sur son territoire.
Mais si Ankara ne le sait pas, ou fait semblant de ne pas le savoir, Washington est parfaitement consciente que toutes les actions menées par le commandement militaire syrien interviennent avec la bienveillante compréhension de la Russie.