Il va sans dire qu'il est urgent de fixer un agenda politique ferme et un programme économique réaliste ; dans la mesure où le pilotage à vue est trop risqué. La stabilité est particulièrement déterminante en période de transition. En effet, une croissance aussi rapide sur une aussi longue période demande une orientation politique ferme.
Dans cette perspective, le choc de confiance n'a toujours pas eu lieu et la méfiance entre les gouvernants et les gouvernés demeure à son plus haut niveau. Aujourd'hui, il faut surtout éviter de se perdre dans d'infructueux débats et que les autorités en place arrêtent un plan de croissance, communiquent au public leurs objectifs et convainquent la population que les sacrifices ne seront pas vains. Ils n'y parviendront que si leurs promesses sont crédibles et s'adressent à l'ensemble de la population, et si elles donnent aux gens l'assurance qu'eux-mêmes et leurs enfants bénéficieront davantage qu'auparavant de leur part des fruits de la croissance.
Le climat d'incertitude dans lequel nous vivons fait que les perspectives économiques laissent entrevoir des espoirs et des opportunités mais aussi des risques malgré des éléments encourageants. En effet, la première estimation de la croissance du PIB (au prix de l'année précédente) au premier trimestre ۲۰۱۲ s'est établie à +۴,۸% en glissement annuel après quatre trimestres successifs de croissance négative.
Mais sans tomber dans l'excès d'optimisme, cette reprise économique est encore fragile, ce qui fait planer des doutes sur les prévisions de ۲۰۱۲ et ۲۰۱۳.
Nous devons, en effet, observer une grande prudence sur le rythme de la reprise économique. Les données conjoncturelles les plus récentes donnent de l'espoir mais ne confirment pas encore une reprise solide. Dans le jargon des prévisionnistes, plusieurs lettres de l'alphabet se déclinent pour symboliser la reprise : en «L», en «N», en «U», en «V» ou encore en «W» ! Il n'est pas surprenant, dans un environnement incertain, que tous les scénarii soient plausibles, mais l'expérience internationale nous a rappelé qu'en matière de prévision, prudence et modestie sont de rigueur. La probabilité du scénario noir, en L, c'est-à-dire à dire une dépression, s'est assez réduite, ce qui est déjà une bonne nouvelle car les autres scénarii symbolisent la reprise, leur différence résultant uniquement dans le «timing» de cette reprise. Et la pratique des marchés nous apprend que ce n'est pas tant la tendance mais plutôt le timing qui est le plus difficile à prévoir.
Les raisons macroéconomiques pour une reprise de l'économie tunisienne ne manquent pas : les revenus du tourisme sont en hausse, le taux de chômage est en légère baisse et on s'attend à une saison agricole exceptionnellement bonne. Il n'en reste pas moins que ces indicateurs laissent penser qu'on pourra retrouver le même rythme de croissance qu'avant ; mais sans pouvoir compenser la richesse perdue pendant, ce qui est somme toute relativement classique dans les schémas de croissance.
Aujourd'hui, il n'est pas inutile de rappeler que les composantes de la demande extérieure et intérieure semblent fortement touchées. Du côté des exportations, nos partenaires commerciaux, essentiellement la zone euro, passent eux aussi par une période difficile et les perspectives économiques demeurent moroses. Faut-il souligner à cet égard que la révolution tunisienne est survenue en pleine crise mondiale et notamment dans une période de ralentissement inquiétant de notre principal partenaire économique, à savoir l'Union européenne.
Aujourd'hui, parmi les risques externes vraisemblables figure une aggravation de la crise dans la zone euro qui amputerait la demande d'exportations de la Tunisie et réduirait probablement les flux d'investissement. Une nouvelle hausse des cours pétroliers et des matières premières pèserait également sur la croissance.
Du côté de la demande intérieure, la situation de la consommation et de l'investissement privé n'est guère plus encourageante. En effet, côté entreprise, le climat d'incertitude économique freine aujourd'hui l'investissement. Des coûts de financement très élevés n'encouragent pas non plus l'investissement et il nous faut d'ailleurs nous employer à abaisser ces coûts. Du côté de la consommation privée, la situation est relativement sombre dans la mesure où le pouvoir d'achat ne cesse de se dégrader. De plus, et sous l'angle monétaire et financier, les marges de manœuvre sont réduites alors que des freins à la croissance demeurent. Le léger rebond de l'activité qui se profile n'est donc pas encore le signal d'une vraie reprise économique. Aujourd'hui, il nous faut de la confiance, du dialogue et de la coordination, conditions sine qua non pour la relance de la croissance et le retour, in fine, vers une croissance durable.
Par Zouheir El Kadhi
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